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Un trek entre Gavarnie et Ordesa

L’an dernier au retour de mon 3ème gr20, fait en 12 jours  avec mes amis Fred et JP, au cours duquel nous avons fait la belle rencontre de Stéph, Lisa et Greg, je me suis mis à réfléchir à notre prochain trek pour 2020. Il y a quelques années j’avais randonné dans les Pyrénées, le Petit Vignemale, Gavarnie et la Brèche de Roland. Avec mon fils Nathan, nous étions restés un moment à cette brèche frontière naturelle avec l’Espagne à regarder chez nos voisins ces paysages qui nous apparaissaient plus sauvages, arides voire plus hostiles qu’en France. Je m’étais promis de revenir dans cette région, de m’échapper en Espagne, de bivouaquer sous la  Brèche. Alors, c’était décidé, 2020 ce serait direction les Pyrénées. Je caressais le rêve de faire ce trek avec au moins mes camarades du gr20,   car ceux qui l’ont fait savent que cette traversée de la Corse marque à vie et qu’on a envie de retrouver les émotions partagées. . A partir de septembre j’ai fait part de mon projet à la petite bande… Fred a été tout de suite partant, mon épouse Valérie aussi, Stéph, Lisa et Greg devaient réfléchir, Nathan était également séduit, mes filles Lucile et Judith s’interrogeaient. J’étais enthousiaste à l’idée de réunir une belle équipe.  Malheureusement ce ne sera pas le cas . Difficile de caler les agendas de tous lorsqu’on habite au quatre coin de la France et puis la covid19 est venue contrariée les projets.

A partir de septembre je me suis mis à potasser le sujet car pour l’instant je n’avais en tête que la 1ere étape : Gavarnie- la Brèche de Roland par l’échelle des Sarradets … un peu court.  Et puis mes recherches m’ont fait découvrir le canyon d’Ordesa … une splendeur et puis un sommet le Mont Perdu … ça y est le parcours prenait forme autour de ces destinations.

Et puis le mois d’octobre est arrivé avec un évènement imprévu, soudain et grave : j’ai fait un infarctus en fin d’entraînement de basket. Je me savais fatigué depuis quelques mois, je n’étais pas spécialement stressé mais j’avais empilé beaucoup de dossiers. Heureusement une présence absolue ce soir là, une écoute de mon corps m’a fait comprendre qu’il se passait quelque chose. 3 heures après les premières interrogations et la pose d’un stent, j’étais sorti d’affaire mais commençait pour moi une nouvelle vie qui pour le moment m’ inquiétait.

Pour l’instant, il n’était plus question de montagne. La rééducation cardiaque se passa bien avec une équipe de santé épatante. Ma réactivité lors de l’accident fit que mon coeur n’avait pas trop souffert, les analyses étaient rassurantes et les test bons. Pour autant, étais je toujours capable de marcher en altitude. Je marchais tous les 2 jours au départ 4km puis 6 puis 9km … marcher 1h régulièrement … tout le monde devrait le faire . Je m’entraînais mais en même temps je préparais mes compagnons à reporter notre aventure à plus tard : « tu sais Fred, je ne sais pas si on pourra aller dans les Pyrénées cette année, le tour du Queyras, ce serait bien, on est moins haut, il parait que c’est super et puis en cas de problème les secours peuvent rapidement intervenir» «peut être Ludo, mais tu nous avais dit qu’on irait dans les Pyrénées me » me dit Fred»  Il a un côté têtu. Mais en même temps j’étais d’accord avec lui.

J’ai bien sur consulté mon cardiologue, je l’ai informé de mon projet. J’ai fait un test d’effort, il m’a ausculté. Il était favorable sous réserve de surveiller mon rythme cardiaque, de limiter les efforts et de ne pas prendre froid. J’étais rassuré même si j’avais omis de lui dire que ce serait à plus de 3000m avec un sac à dos de 16 kg. Nous étions en juin de cette année et il était maintenant grand temps de peaufiner le parcours. J’ai acheter un livre sur la vallée saborder-Gavarnie, une carte au 1.15000 car j’avais bien compris qu’en Espagne, le parcours n’était pas franchement balisé et que pour se repérer il faudrait faire confiance aux cairns, à la carte et aux randonneurs qu’on rencontrerait. Nous avions compris également qu’il fallait partir en autonomie de nourriture car le seul refuge autour duquel nous allions articuler notre parcours, le refuge de Goriz, serait pauvre en nourriture.

De même pour réussir la Vire des Fleurs à partir de Torla, il nous faudrait à un moment avoir l’équipement de via ferrata.

Afin de tenir compte de ces contraintes : la nourriture, le matériel et mon souhait de commencer par une étape d’acclimatation nous avons décidé de commencer par aller à Torla puis de revenir sur Gavarnie pour ensuite faire notre trek de 6 jours sans le matériel qui ne serait plus nécessaire. Nous avons donc commencé le samedi par la vire des fleurs « la faja de las flores ». Il s’agit d’une randonnée en boucle d’une journée au départ de la Pradera juste au dessus de Torla. 800 mètres de dénivelé positif avec un sac allégé .… très bien pour une première journée  Pour arriver à la vire, à la montée comme à la descente, il faut emprunter des clavijas ou cheminée, c’est assez abrupt, mais bien équipé et sans réel danger du moins pour la première « Carriata. En effet pour rejoindre la seconde «  Cotatuero »et redescendre, le matériel de via ferrata est impératif, on ne passe pas sans sur les 20 mètres qui nous séparent du haut de la cheminée. La vire des fleurs est un endroit magique, impressionnant. Pendant trois bons kilomètres vous êtes à flanc de falaise sur un sentier qui paraît impossible vu de loin mais une fois dessus suffisamment large pour passer sans difficultés. Quelle belle entrée en matière dans ce superbe canyon d’Ordesa. Lors de ce parcours nous avons observé au loin la brèche de Roland .. nous y serons dans 2 jours.

Valérie et moi

La vire des fleurs

clavijas de Cotatuero

Le dimanche nous avons repris la voiture pour aller à Gavarnie, 4 heures de routes !! une journée détente qui nous a permis d’aller voir de près la Grande Cascade de Gavarnie dans ce cirque magnifique : 423 mètres de chute d’eau un vrai brumisateur naturel apprécié par cette chaude journée. Nous avons pu également repérer la parcours du lendemain, voir où démarrait cette fameuse échelle des Sarradets. Elle n’est pas indiquée au départ de l’hôtel du Cirque et malin celui qui sait, que dans ce cirque aux parois impressionnantes, il existe un passage pour s’élever au dessus.

la Grande Cascade de Gavarnie

Après une nuit tranquille bercée par le torrent qui coule de la cascade dans le petit camping « la Bergerie », à l’accueil impeccable nous partons pour la brèche de Roland. Les choses sérieuses vont commencer et pour moi également le vrai test d’effort .  L’échelle porte bien son nom, la montée est très raide mais offre une vue remarquable sur le cirque. Nous arrivons sur un petit plateau puis assez facilement jusqu’au refuge des Sarradets. Là nous retrouvons beaucoup de trafic car il existe un itinéraire plus simple à partir du col des Tentes. Le refuge est fermé pour travaux et le point d’eau bien venu est non potable.. heureusement nous avons emporté des pastilles. Après un repas vite avalé et une petite sieste nous repartons en direction de la brèche juste au dessus de nous, splendide et majestueuse. C’est toujours agréable d’avoir en point de mire la fin de l’étape. Nous l’atteignons rapidement après avoir monté un raide pierrier et un névé sur lequel la trace est bien marquée. Quelle joie d’arriver à la fin de cette 1ère étape à 2800 mètres  après 1400 m de dénivelé.

échelle des Sarradets

Brèche de Roland côté français

Nous basculons rapidement de l’autre côté pour échapper à l’affluence des randonneurs à la journée et trouver notre lieu de bivouac. C’est étonnant comme les deux versants sont différents: plus de neige, des blocs de pierre et plus personnes. Nous trouvons une centaine de mètres sous la brèche l’endroit du bivouac. Un site idéal, un petit torrent, 2 emplacements pour nos tentes que des randonneurs précédents avaient murés de pierre. Il est 17h, nous sommes fatigués, la montagne se vide de ses visiteurs, nous sommes plus que trois, la montagne semble nous appartenir .. quel sentiment extraordinaire de liberté.  Nous nous reposons, échangeons sur la journée, contemplons cet espace, savourons les rayons du soleil … quel plaisir. Après une bonne soupe, nous nous couchons alors que la nuit n’est pas encore tombée.

bivouac sous la Brèche

Soudain, vers 21h30, des grondements se font entendre et nous réveillent en sursaut. Je sors précipitamment de la tente pour mettre nos bâtons plus loin sous les rochers, cacher les objets métalliques. Le ciel était noir, l’orage attendu le lendemain arrivait sur nous. J’ai pris 3 photos de ce ciel menaçant sans vraiment comprendre que dans quelques minutes nous serions sous la tourmente.

orage sous la Brèche

Le vent à commencer à se lever, violent, la tente bougeait dans les tous sens et puis le festival des éclairs à commencer, incessants, angoissants, proches, accompagnés de coups de tonnerre qui résonnaient dans ce cirque. Moi qui pensait que la montagne nous appartenait, quel prétentieux c’est nous qui lui appartenons. Nul point de fuite, nul secours possible, nous étions bien seuls. Valérie me tenait la main, nous n’osions bougé, nous attendions. Ma femme pensait à ses enfants. La pluie s’est mise à tomber en bourrasque. C’était l’enfer sur terre. Fred seul dans sa tente avait du sortir pour la repiquer, il était venu prendre de nos nouvelles « ça va … ça va » « oui, oui »  lui avions nous répondu. Mais cela n’avait pas de sens. Je regardais régulièrement ma montre pour vérifier mon rythme cardiaque … la cardiologue avait dit « pas d’émotions excessives », ça allait, je faisais de longue expiration.. merci le yoga. De son côté, Fred s’était recouché,  habillé, trempé, prêt à ressortir. A un moment comme dans un mauvais film d’horreur trois gars barbus sont apparus devant lui très distinctement avec les éclairs. « hola, hola, qu’est ce qu’on doit faire » lui demandaient dans un français approximatif ces espagnols affolés, trempés, sortis de nul part. Fred leur a conseillé de retourner dans leur tente en leur disant qu’il n’y avait rien à faire. Nous avons eu le plaisir de les revoir le lendemain avec de grands saluts. Ils bivouaquaient juste au dessus de nous. Ils avaient comme nous eu très peur et pour eux, c’était retour maison : c’était l’occasion de leur apprendre l’expression « la coupe est pleine ». Enfin l’orage s’est éloigné, nous l’entendions au loin. Nous nous sommes rendormis avec le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’extraordinaire. J’ai regretté ensuite de ne pas avoir pris de photos, de ne pas avoir filmé, mon smartphone était tout près. Mais sincèrement pendant cette orage qui a semblé durer une éternité vous n’y penser pas un instant. Vous voulez vous faire tout petit espérant qu’on vous oublie.

Lorsque nous sommes arrivés au refuge de Goriz le lendemain, nous avons appris que tout le camp avait été rapatrié pendant la nuit dans le refuge et que c’était l’orage le plus violent depuis 5 ans.  Nous avons également appris qu’après une telle nuit passée en haute montagne nous étions baptisés et que nous pouvions maintenant nous promener nus sous un orage avec un casque à pointe et que rien ne nous arriverait. Bon à savoir, mais je ne testerai pas.

Nous sommes arrivés de bonne heure à Goriz et nous avons profiter de l’après-midi pour nous dorer la pilule car demain ce serait l’ascension du Mont Perdu .. mon objectif ultime avec ses 3355 mètres.

Debout à 6h, sacs très allégés car Valérie restait au camp .. problème de tendons, nous avons attendu l’ouverture du refuge pour prendre nos pique nique très allégés aussi et avons commencé l’ascension à 6h30. Que c’est agréable de marcher ainsi, à la lueur du jour, sac réduit au strict nécessaire. La montée est relativement aisée jusqu’au lac Gelé, alternance de passages raides, avec un peu de varappe et petits replats. Je suis mon cardio et m’arrête lorsque je monte un peu dans les tours, ouf il redescend vite .. c’est le principal. A partir du lac Gelé le sommet est en vue, mais une dernière montée très raide de 400m de dénivelé s’annonce, le chemin est bien tracé, il y aura juste un petit névé avant le sommet, mais avant un impressionnant pierrier. Les bâtons nous seront bien utiles. Après 3 heures d’une ascension, en fait avalée rapidement nous arrivons au sommet. Nous sommes une petite dizaine la haut, j’y retrouve les 3 gazelles qui nous avaient doublées dans la montée, nous nous prenons en photo mutuellement. Nous échangeons sur le plaisir de l’avoir fait, sur la beauté du paysage qui s’ouvre à 360° : au loin le Vignemale, plus bas en dessous la brèche de Tuquerouye et son lac où nous devions aller pour retourner sur Gavarnie , une vue plongeante sur la canyon d’Ordesa.

moi et Fred

moi et Fred

le Mont Perdu

Nous entamons la descente plutôt ludique, nous glissons sur les pierres et finissons par un névé juste avant le lac gelé. La descente est rapide et en fait nous ouvrons notre pique-nique au refuge. Valérie, souffre toujours des tendons et les étapes qui se profilent semblent incompatibles avec son état. Nous décidons donc de rentrer plus tôt en repartant vers la Brèche de Roland mais par le pas des Isards, un parcours assez aérien, délicat par endroit. Nous rencontrons en chemin un troupeau d’Isards, de superbes animaux que l’on envie pour leur maîtrise et leur aisance dans cet environnement

le pas des Isards

De retour côté français , nous regagnons Gavarnie et notre chère aire de bivouac en passant cette fois par le sentier qui mène au col des Tentes et en bifurquant vers le plateau de Bellevue.

le plateau de Bellevue

Un trek de 4 jours, rustique, aventureux, magnifique et pour moi également un test d’effort plus que réussi.

9 commentaires

Leroux

Très beau récit Ludo. À travers ces lignes et ce gigantesque paysage, tu nous a fait vivre une belle très aventure humaine, physique et mentale. Observateur comme tu l’es, sois toujours à l’écoute de ton cœur et de ton instinct, il n’y a pas meilleur guide. Félicitations à ce trio de choc et dans l’attente du prochain périple !

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LECOMTE

Bravo Ludovic!
Belle aventure ! On savait que tu étais un garçon au grand coeur! On sait maintenant qu’il est bon!

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Horel

Ludo, après lecture de ton récit , si bien raconté, on aurait envie d’en savoir plus . ……Tu pourrais écrire un livre en fait . Je comprend encore mieux ton envie de liberté et ta bienveillance envers les tiens . Félicitations et au plaisir de se revoir

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Patou

Je mesure pleinement les sensations lors de cette nuit d’orage, alors que j’étais pas loin, dans un lit douillet à me demander comment vous surmontiez les éléments … Bravo à tous les 3, votre mental et votre motivation vont au delà des risques qui justifieraient le renoncement ! Des mots et des images qui donnent envie de vous suivre, un joli récit qui traduit bien votre bonheur de la montage.

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GENEST

Superbe aventure Ludo et Valérie ! Nous connaissons (du bas) ce fabuleux Gavarnie et les photos prises lors de votre trek sont magnifiques et montrent les efforts que vous avez du fournir pour le réaliser. BRAVO !
Bien amicalement
Philippe G.

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Carole

Magnifique périple, les émotions étaient au rdv, ça me rappelle une nuit de bivouac dans le Mercantour avec un orage d’une telle violence que je m’en souviens encore (j’avais eu la trouille de ma vie).
Carole

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bardet

Bravo à Ludo et Valérie ainsi que toute la petite bande de nous faire partager cette belle épopée.
Beau texte vivant et réaliste agrémenté de magnifiques photos

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Philippe LAULHE

Joli reportage Ludo. Quelle merveille ces Pyrénées que je connais bien, puisque natif. On ne s’en lasse pas. Je suppose que nouveaux projets sont en cours. A bientôt.

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