C'est vous qui le dites ! Groenland

330 km en kayak au Groenland Côte Est

Côte Est au départ de Kulusuk : seul et en autonomie

Depuis toujours, je suis passionné par l’aventure. J’ai commencé en pratiquant des raids multisports au 4 coins de la planète, plus extrêmes les uns que les autres. Puis je me suis tourné vers l’alpinisme où j’ai découvert une autre forme du dépassement de soi. J’ai toujours eu une attirance pour les régions polaires, mais ces contrées me paressaient inaccessibles. Jusqu’au jour où j’ai pris la décision de me lancer en kayak de mer dans un tour des îles Lofoten. Cette première aventure m’a permis de me roder avant d’entreprendre des aventures plus sérieuses. Etant le seul maître de mes
rêves, je me suis lancé dans la préparation de cette expédition au Groenland dès mon retour de Norvège, où l’envie de repartir était très forte. Je voulais explorer un lieu hors norme, peu visité et naviguer au milieu des icebergs, où l’on ne joue pas avec la nature, mais où l’on compose avec ses humeurs, ses caprices pour obtenir en retour des sensations immenses. Des contraintes professionnelles m’ont fait retarder mon voyage d’une année. Et puis début 2018, la date du départ a été fixée. Il me restait un an et demi pour me préparer au mieux physiquement et techniquement.
J’allais enfin pouvoir partir explorer une contrée dont j’ai beaucoup rêvé au fil de mes lectures.

Première étape : 25 km – 5h30

Ensoleillé, vent nul, 8°C, mer peu agitée.

Le jour du départ est enfin arrivé. 2 ans que j’attendais ce moment: partir vers les horizons que seule mon imagination avait jusqu’alors osé parcourir; un véritable défi pour mes points de repère, au delà de mon expérience de la nature. D’abord avec les bagages supplémentaires, qui sont ma plus grande inquiétude et la moins maîtrisable. Car je dois amener mon kayak, l’équipement de navigation et de
bivouac, la nourriture pour 15 jours. Soit au total, 65 kg de bagages. Je quitte enfin la chaleur du Sud pour rejoindre des températures plus convenables. Mais il me faudra attendre encore de longues heures, un wagon non climatisé, une arrivée dans le hall de gare avec une chaleur étouffante. J’arrive enfin en Islande à 2h du matin, abordant des températures plus clémentes. Le départ pour le Groenland est prévu à 10h30 de l’aéroport local de Reykjavik pour enfin atteindre la ville de Kulusuk. Après une courte nuit passée à proximité de l’aéroport, j’apprends que mon vol aura une heure et demie de retard, encore une attente qui vient s’accumuler et toujours l’inquiétude de savoir si je vais pouvoir transporter tous mes bagages sans problème . Après avoir déambulé en long et en large dans les environs, je fais le plein d’essence pour le réchaud. Je vais m’enregistrer pour ce dernier vol, et une surprise m’attend lorsque j’annonce mon bagage supplémentaire à l’hôtesse, qui me fait un signe de la tête en me disant : « OK, no problem ». Maintenant, c’est parti, j’ai hâte d’engager mes premiers coups de pagaie. Après deux heures de vol, j’aperçois par le hublot les premiers icebergs. L’aéroport de Kulusuk est une simple piste en terre battue avec une petit aérogare. Ici, pas de tapis roulant pour récupérer les valises, tout est posé sur un transpalette qui va déposer simplement les bagages à l’extérieur de l’aérogare. Je prends mes sacs et en route pour le bord de mer ou une piste me conduit. Il y a environ 2 km.


Je cherche un endroit correct pour essayer de monter le kayak, mais à ma triste surprise, les environs sont extrêmement sales, ferraille abandonnée, morceaux de  verre… Je me retrouve avec deux contraintes, avoir une mise à l’eau possible avec mon kayak mit sur chariot et une zone propre. Je trouve enfin un endroit pour me préparer.

2h plus tard, tout est prêt pour la première mise à l’eau. Le temps est idéal: pas un souffle d’air, le soleil rayonne sans partage et une douce température de 8°C. Je me dirige vers l’ouest, je contourne une île et entame ma première traversée de fjord, ce sera une des plus grandes avec plus de 15km en pleine mer.

Je pagaie depuis 1h30 quand j’entends sur ma gauche un souffle que j’associe instinctivement à celui d’une baleine. Soudain, à ma grande surprise, je la vois sortir à une cinquantaine de mètres de moi. Je sors à la hâte mon appareil photo mais il est déjà trop tard: elle a plongé. Quelques secondes plus tard, là voilà qui ressort. Je décide d’attendre le prochain retour pour la capturer dans mon appareil photo… Rien. Quelques minutes plus tard, quand je n’y crois plus, la voilà qui ressort juste en face de moi… Ou peut-être une autre? le spectacle est saisissant, je comprends qu’il y en a plusieurs sur les côtés, devant, je suis cerné par 5 ou 6 spécimens. Malgré la beauté du moment, le stress m’envahit, car si l’une d’elles venait à me renverser, la situation pourrait être critique. Je suis à plusieurs km de la côte et l’eau avoisine les 0°C. J’entends comme des cris aigus, surement le chant des baleines qui communiquent entre elles. J’ai l’impression d’être entre réalité et fiction. Quelle étrange sensation que de vivre, de voir et d’entendre des choses que je ne connaissais qu’au travers des reportages ou des livres. Voilà déjà 5h que je pagaie, et je commence à avoir les bras lourds. Je cherche une plage pour débarquer, mais toutes les côtes ne sont que des falaises, impossible d’accoster, alors je continue , en gardant espoir de trouver un endroit plus loin, mais dans combien de temps ? J’arrive enfin à l’embouchure d’une baie au fond de laquelle le débarquement semble possible. J’ai une autre contrainte, il me faut de l’eau pour pouvoir manger mon repas lyophilisé ce soir. Tout est réuni à cet endroit, même si l’accostage semble compliqué, je m’en accommoderai. La difficulté du débarquement se confirme, à cause des vagues qui m’obligent à sortir le bateau de l’eau et le hisser à plusieurs mètres de haut. Avec les icebergs à quelques mètres, il se pourrait qu’en se brisant, une grande vague se forme et vienne emporter toutes mes affaires, ce qui me contraindrait à l’abandon dès le premier jour ! Après mes 25 km et mes 5 heures de navigation, j’en ai plein les bras et la tâche est difficile. Je me refroidis très vite car, sous ma combinaison étanche, je ne me suis pas rendu compte de l’effet de la condensation immédiatement. Je suis pourtant entièrement mouillé, à tel point que je pense qu’elle est percée. Pour l’avenir je vais devoir surveiller mon rythme pour ne pas transpirer.

Mon premier bivouac n’est pas vraiment idéal: je suis sur un terrain en pente juste à côté d’une cascade. Le lieu est très bruyant. En voulant sortir mon kayak de l’eau pour le mettre plus haut, une vague vient me submerger jusqu’aux genoux. Je me retrouve avec une seule tenue sèche. J’espère pouvoir faire sécher mes vêtements demain.

Ce début est intense, il va falloir être très prudent pour la suite et faire attention de bien gérer la fatigue pour rester lucide et pouvoir faire front aux imprévus. En pleine nuit, j’entends un énorme craquement, je reconnais le bruit typique de la glace qui vit. Un craquement encore plus fort que les autres me fait bondir de ma tente. Un des trois icebergs de la taille d’une énorme maison, vient de se briser puis tourne sur lui-même en soulevant une importante masse d’eau. Heureusement, mon kayak ne craint rien sur son abri plus de 20 mètres au-dessus du niveau de l’eau. La première journée a été très riche en émotions, mais, c’est bien cela que je suis venu chercher!

Deuxième étape : 40 km – 8h

Nuages éparses, vent faible, 5°C, mer agitée.

Après cette première nuit interrompue à plusieurs reprises, je suis définitivement réveillé à 5h du matin et décide de partir au plus vite, car la marée basse me libère une zone dégagée pour embarquer. La tâche sera nettement plus facile que le débarquement de la veille. Me voilà donc sur l’eau à 6h pour une étape que je vais faire en trois sessions de 15 km chacune. La sortie de la baie m’accueille avec une forte houle et des courants, pas très rassurants pour la suite. J’arrive enfin dans le fjord de Sermilik, je suis alors saisi par l’immensité des icebergs, hauts de plusieurs dizaines de mètres!

En fin de matinée, j’entame ma première pause, je vais pouvoir tout faire sécher et me restaurer. Pour ma dernière session, la traversée du fjord s’annonce longue: environ 8km au milieu des icebergs. Il va falloir rester vigilant car les ils sont énormes, plusieurs centaines de mètres pour certains. L’un d’eux vient de libérer un gros bloc de glace qui forme immédiatement une grosse vague. Je mets mon kayak aussitôt face à cette dernière. Puis quelques secondes après, à une vingtaine de mètres de moi, le souffle d’une baleine qui plonge me garde en haleine. Je sors immédiatement mon appareil photo, attends, mais rien. Elle ressortira à une centaine de mètres. Je suis dans un reportage de Discovery Chanel! Cette fin de journée, je passe plus d’une heure à trouver un endroit pour débarquer avec mon kayak. Il faut dire que j’ai des contraintes: il me faut un lieu où je peux le faire rouler sur son chariot et peux le monter suffisamment haut pour éviter une éventuelle vague ou simplement la montée des eaux due aux marées. Lorsque je trouve une petite plage, je tire mon kayak laborieusement, il y a beaucoup de rochers qui empêchent mon chariot de rouler correctement. Enfin je suis récompensé car je trouve un bivouac sur le haut d’un rocher qui surplombe tout le fjord. Je vais pouvoir dormir au sec et au calme.

Troisième étape : 35 km – 9h

Ciel couvert, puis ensoleillé, vent nul, 4°C, mer calme. Départ à 7h du matin.

Pendant la nuit, la mer s’est retirée, je vais donc devoir tirer mon kayak sur une cinquantaine de mètres. Chargé, il est beaucoup trop lourd pour le tracter. Je dois faire plusieurs aller-retour pour transporter mon chargement et le charger au bord de l’eau. Je me dirige en direction du fond du fjord John Petersen, où je projette d’aller voir un glacier qui arrive directement dans la mer. Plus j’approche, plus je me rends compte que les petits blocs de glace qui flottent dans l’eau sont de plus en plus denses. Je décide donc de m’arrêter sur une île au milieu du fjord. Je ferai le reste à pied. Je débarque et continue à pied pour traverser cette île. Je me dirige en marchant à vue en direction du glacier, ou s’enchaîne une succession de collines, semblant s’étendre à l’infini, jusqu’à s’ouvrir sur le spectacle grandiose du glacier qui plonge dans la mer. La vue du sommet est à couper le souffle.

Je reprends mon kayak en direction du fjord de Sermilik. Je croise un iceberg avec une arche et un
bassin à l’intérieur. L’envie de passer dessous est grande… mais il y a des interdits qui sont
importants de respecter surtout lorsque l’on évolue en solitaire. Je fais une vidéo avec mon drone pour voir l’ensemble vu du ciel.

Sur la carte, il y a un petit chenal dérobé. Il peut se franchir uniquement à marée haute. Plus j’avance, plus cela me semble compliqué, quand tout à coup j’aperçois un minuscule passage, environ 2 mètres de large. J’ai même la chance de trouver de l’autre côté une petite plage sur laquelle je vais pouvoir débarquer et passer la nuit. Le bruit des icebergs qui craquent est ininterrompu. Après avoir monté ma tente, je gravis une colline d’où la vue sur le fjord et ses icebergs est magnifique. Je prends aussi conscience de l’immensité des lieux. Je peux même voir la traversée qui m’attend pour demain matin. Je me demande bien comment je vais pouvoir faire pour m’en sortir avec tous ces blocs poussés par le vent et qui viennent bloquer la baie ou je me trouve. Après cette journée, malgré la lumière persistante du soleil qui ne se couche qu’une heure par jour, et le bruit incessant des icebergs, je m’endors aussitôt après avoir mangé mon repas lyophilisé.

Quatrième étape : 30 km – 7h

Ensoleillé, vent en fin de journée, 5°C, mer calme puis agitée.

Ce matin, le soleil brille à travers quelques nuages éparses. Les icebergs, gros comme des immeubles, dépassent de l’épaisse couche de brume posée sur la mer. J’ envisage un peu de bricolage avant de repartir. Le palonnier qui me permet d’actionner le gouvernail s’est cassé. J’en profite aussi pour optimiser la fixation qui tient mon appareil photo sur mon gilet de sauvetage. Je quitte la baie et j’arrive très vite face à un obstacle composé de nombreux icebergs qui me barre le passage. Je ne vois pas comment faire pour me frayer un chemin. C’est gigantesque, tout semble calme et immobile mais en vérité c’est tout le contraire. La glace craque en permanence, imitant le bruit du tonnerre. Je vois des blocs tomber en permanence. Sur la droite je vois un passage large de 4 à 5 mètres et bordé de murs d’une vingtaine de mètres, je m’y engouffre aussitôt sans m’y attarder. Après quelques centaines de mètres, le chenal s’élargit à nouveau et la densité des icebergs diminue. Je continue ma traversée en longeant des icebergs de la longueur d’un terrain de foot. Je n’avais jamais vu pareil spectacle. Au bout de deux heures, je commence à apercevoir les petites maisons du village de Tiniteqilâq. Non loin du port, un endroit propice au débarquement me permet de faire une pause restauration et visite de ce village inuit. On se demande quelle activité il peut y avoir. On trouve une école, une supérette, un bureau de poste, l’équivalent d’une mairie. Pour venir ici, il n’y a pas de route, l’accès se fait par bateau ou hélicoptère seulement. Une seule rue principale et des chemins ont été construits à l’intérieur du village. Les maisons et leur accès sont sur pilotis. A l’extrémité se trouve l’héliport et en bord de mer à l’opposé le port avec quelques petits bateaux, équipés essentiellement pour la pêche. Dans le village, je croise quelques habitants, mais impossible d’échanger : tous parlent uniquement la langue Inuit et en anglais mis à part « hello », il n’y a pas d’autre échange possible.

De cet endroit, je m’aperçois qu’il est possible de communiquer avec le monde extérieur, j’en profite alors pour donner quelques nouvelles à ma famille. Je repars en direction du passage que j’ai longtemps étudié sur la carte. Je le connais parfaitement mais uniquement sur papier. Il ressemble à une botte. Je sais que ce sera long. Je prévois 4 heures pour faire la vingtaine de kilomètres. Un banc de phoques vient s’amuser à quelques mètres du kayak, comme s’ils me souhaitaient la bienvenue. J’ai le vent dans le dos et j’avance un bon rythme, puis le fjord fait un virage à 90° à l’Est. Là, tout prends une autre dimension. Le bout est très loin, une ligne droite de 20km se dessine et maintenant, j’ai le vent de face. Ma vitesse chute considérablement. Je vais devoir revoir mon étape et prévoir un bivouac beaucoup plus tôt si je ne veux pas être épuisé pour la suite . Je repère un lieu sur l’autre rive à 3 km. Il me faudra 1h pour m’y rendre tellement les conditions sont difficiles. Une fois arrivé sur la plage, je constate que d’une part, rien n’est plat, et que d’autre part, le sol est une tourbière. Je réussis tout de même à trouver une petite zone sèche pour mettre ma tente et passer la nuit. C’est avec beaucoup de déception que je découvre une plage polluée, jonchée de canettes et sacs en plastique. Je me dis qu’elle doit être un lieu de bivouac fréquenté, et ne peux empêcher le désespoir de m’envahir face à l’irresponsabilité populaire qui se donne en spectacle à cet instant. Le vent souffle fort. J’avale mon repas lyophilisé, regroupe toutes mes affaires et me réfugie dans la tente en espérant qu’Éole va se calmer pendant la nuit, car à ce rythme, je risque de prendre un retard certain sur le programme. Dans tous les cas, j’essaierai d’avancer un maximum, en faisant plus de pauses pour ne pas m’épuiser.

Cinquième étape : 30 km – 6h

Nuageux, vent nul puis modéré, 4°C, mer agitée.

Au réveil tout est calme. Le fjord forme un immense miroir. Je plie mes affaires et reprends mon kayak, pressé d’évoluer dans cet extraordinaire décor. Les premiers coups de pagaie ne déçoivent pas. Mais rapidement, au bout d’une trentaine de minutes, le vent se lève. La navigation devient moins agréable mais il faut en finir avec ce fjord. Il faut aller jusqu’au bout où j’espère pouvoir faire une pause pour déjeuner, mais rien n’est moins sûr. Les rives ne sont que des falaises et de gros rochers. Plus j’approche de l’embouchure, plus les vagues sont grosses et le vent se renforce. Encore un dernier effort puis je changerai de cap. Je serai peut-être poussé. A la sortie du fjord, tout s’élargit. C’est immense ! Je dois trouver ma route pour la suite, mais il est difficile de trouver des repères. Je change de cap, 90° Nord et j’ai le vent dans le dos. J’ai l’impression d’aller vite, le compteur GPS indique 7km/h contre 3 il y a quelques minutes. J’ai besoin de m’arrêter pour me restaurer et me dégourdir les jambes. Je trouve une petite baie à l’abri du vent, mais impossible de sortir le kayak de l’eau. Je le tiens par un bout car il n’y a rien pour amarrer. La pause sera de courte durée. Je repars donc pour au moins 2h, car il me faut faire une traversée pour rejoindre une baie ou j’ai prévu de débarquer pour passer la nuit. La traversée est agrémentée par le souffle des baleines qui sont dans les environs. Voilà maintenant 6h que je pagaie, quasiment sans m’arrêter, et arrive enfin au point de bivouac prévu. Je trouve de grandes dalles qui arrivent dans l’eau : c’est l’idéal pour débarquer et faire rouler le kayak jusqu’à un point sûr, hors de portée des vagues. Je débarque, installe mon campement à proximité du bateau. Il y a peu de marche à faire pour une fois. Par contre, en m’approchant de ces grande dalles, je m’aperçois qu’elles n’avancent que d’un mètre dans l’eau, puis chutent brusquement dans les profondeurs. Je serai donc contraint de partir à marée haute, soit à 2h du matin au plus tard. Dans la baie, les baleines continuent de souffler, suggérant leur présence dans cette immensité brumeuse. Je m’endors avec elles…

Sixième étape : 30 km – 6h

Très nuageux, froid et humide, vent faible, 3°C, mer calme.

Comme prévu, je mets le réveil à 1h30. Mais c’est en fait à 1h25 que je suis réveillé par le souffle d’une baleine qui s’est engouffrée dans la baie, à proximité de mon campement. Lorsque je sors de la tente, c’est la pénombre. Je ne la distingue pas tout de suite, puis je la vois apparaître alors une centaine de mètres plus loin. Elle s’éloigne en direction de mon itinéraire. Je déjeune, prépare mes affaires et embarque. Je commence un naviguer à la frontale car il ne fait pas suffisamment jour pour distinguer les détails. Je traverse la baie avec une petite appréhension de voir surgir une baleine qui me renverserait. Le fjord est tout droit et ne demande pas d’orientation précise. Mon objectif est une petite cabane bleue qui se trouve à environ 12 kilomètres d’ici, soit à un peu plus de deux heures. Le ciel est gris, l’ambiance est austère. Le fjord finit par s’élargir et tout devient plus calme : le vent est tombé, il n’y a plus un souffle d’air, un iceberg se promène au milieu. Tout est complètement calme, quand soudain, le souffle d’une baleine vient rompre le silence. Un instant magique… Elle est entre l’iceberg et moi, je saisis alors mon appareil photo et tente d’immortaliser le moment avec une petite séquence vidéo. Cette fois elle n’a pas pu échapper à mon objectif.

J’arrive enfin à la cabane bleue, une petite maison de pêcheur, un bel endroit mais très austère à cause du ciel gris et bas. Il fait très froid et la fatigue se fait ressentir, m’obligeant à rapidement me changer et me préparer un plat chaud. Après 4 heures de repos, je repars pour mon étape finale. En chemin, je passe devant une ancienne base militaire de l’US air force. De vieux bidons rouillés gisent sur le sol par centaines. L’endroit a été totalement abandonné. Je décide de faire une petite pause pour visiter ces lieux intéressants malgré tout. La suite de mon parcours se fera pour la première moitié en vent de face, et pour terminer le vent dans le dos . J’arrive sur une plage ou le débarquement est aisé mais, le soleil va vite passer derrière la montagne. Je passerai la soirée à l’ombre. L’humidité arrive et le froid commence à être saisissant.

Septième étape : 33 km – 7h

Ensoleillé, vent faible puis nul, 2°C, mer calme.

Ce matin, le temps est dégagé, mais toujours très humide. La tente est totalement mouillée, je suis contraint de la plier ainsi, en espérant pouvoir la faire sécher ce soir. Le départ est glacial mais je suis optimiste pour le reste de la journée car le ciel est bien dégagé. Il va y avoir un peu de navigation à l’ombre, puis le soleil fera son apparition. J’attends avec impatience ce moment en avançant en direction du glacier. Effectivement, il doit faire très froid, car l’eau commence à cristalliser autour des petits blocs de glace. Ce phénomène s’explique avec la fonte de ces blocs qui est de l’eau douce, et cette dernière gèle à 0°C alors que l’eau de mer gèle à -2°C. Il s’agit d’une fine pellicule que j’arrive à casser avec le kayak et la pagaie. Le glacier a énormément reculé ; il s’est retiré de 10 km par rapport à l’emplacement indiqué sur la carte qui date de 2003…Je vais essayer de me rapprocher au maximum, mais je ne suis pas sûr de vouloir aller jusqu’au bout : c’est vraiment beaucoup trop loin et je n’aurai pas grand-chose de plus. Sur ma droite, un magnifique glacier se jette directement dans la mer. C’est ce que je suis venu voir. Je vais me diriger dans cette direction, espérant pouvoir trouver un endroit opportun pour débarquer.

Lorsque j’arrive sur les lieux, encore une succession de falaises, compliquant ma tâche. Puis en m’approchant, j’aperçois une petit plateforme d’une dizaine de mètres carrés qui arrive à fleur d’eau. C’est idéal, et confirmé en regardant les horaires des marées, il me reste encore deux heures de marée descendante ce qui va me laisser 4 heures pour faire une pause. Je pose mon kayak sur la plateforme et je vais m’installer sur les rochers quelques mètres plus haut. La mer va descendre pendant 2h puis remonter. Je n’aurai plus qu’à embarquer. Par contre, je vais devoir rester vigilant et ne pas m’éloigner, car le glacier le plus proche avance continuellement en déversant des blocs de glace. A chaque fois qu’il tombe dans l’eau un raz de marée se forme. Voilà 5 minutes que je suis arrivé et un énorme bloc vient de se détacher. Je me précipite pour tenir le kayak et éviter qu’il se fasse emporter. Avec la marée, ce phénomène va s’atténuer de plus en plus, en rehaussant naturellement ma plateforme par rapport au niveau de l’eau. Je vais pouvoir m’installer tranquillement et commencer mon déjeuner. L’endroit est parfait pour observer le glacier et pour prendre un peu de repos. Le temps est magnifique, je profite pleinement des lieux. Vers 11h je reprends mon chemin. J’ai de plus en plus chaud sous ma combinaison en Gore tex, très vite je commence à transpirer, je pagaie moins vite mais rien à faire. Je décide donc exceptionnellement de quitter le haut. Je peux enfin respirer et augmenter la cadence. Mais dès l’arrivée à la confluence des deux fjords, je dois faire face à un vent catabatique qui arrive du glacier. Plus de possibilité de remettre ma combinaison, malgré le soleil le froid est saisissant et me refroidit très vite. De l’autre côté du fjord, j’aperçois une zone propice au débarquement. Mais ici il faut pas oublier que les distance son plus longues qu’elles ne paraissent. Il me faudra presque une heure pour venir à bout de cette traversée. Je finirai mon étape transi de froid, prenant là une bonne leçon pour l’avenir : toujours être vigilant sur la suite du parcours quand l’on se découvre.

Dès mon arrivée, je monte la tente pour la faire sécher avec les derniers rayons du soleil et passer une bonne nuit au sec. Ce soir, le bivouac est 4 étoiles avec vue imprenable sur le glacier. Le son de ses craquements et des plongeons des morceaux de glace berce ma nuit.

Huitième étape : 33 km – 7h

Ensoleillé puis brumeux, vent soutenu, -1°C, mer agitée.

Il est 2h30 du matin quand j’entends un animal roder autour de ma tente. Je sors immédiatement et j’aperçois un renard polaire qui m’avait déjà maraudé une basket et en avait fait son jeu. Ma nuit s’arrêtera là. Je me prépare, en compagnie de mon nouvel ami. Une amitié qui sera de courte durée, car je dois rapidement reprendre la mer pour 3 heures de navigation.

Je passe à côté d’un iceberg d’un bleu magnifique, qui se déleste partiellement sous mes yeux. Phénomène surprenant, toutes les petites bulles d’air emprisonnées dans les glaces se libèrent dans un immense bruit, semblable à de l’huile qui frit dans une poêle. Je respire de l’air vieux de plusieurs millier d’années !

J’arrive au village de Sermiligâq où je fais une pose pour me restaurer et visiter les lieux.
Le temps se couvre, une grande traversée m’attend. Je me lance dans le brouillard et navigue en gardant mon cap à 270°. C’est le même cap que celui de mes premiers coups de pagaies, indiquant le trajet du retour. Il me reste 90km à parcourir dans un dédale de fjords. Le brouillard est si épais que j’entame ma traversée sans aucune visibilité.Tout est blanc. Suivant mes calculs, dans 1h je devrais revoir la côte, puis je devrai tourner à 90°au sud et longer la côte pendant 8km pour arriver dans une baie ou je pourrai bivouaquer. Ma tension est grande jusqu’au moment où la côte se dessine enfin.
4h je plus tard, j’aborde une plage de gros galets, peu propice au débarquement mais je m’en contenterai. Le baromètre chute depuis 24h, ce n’est pas bon signe et j’espère que les conditions
ne vont pas trop se dégrader pour la fin du parcours.

Neuvième étape : 25 km – 5h

Brouillard, visibilité réduite, bruine, vent faible, 4°C, mer peu agitée.

Le baromètre descend toujours, pour la première fois j’ai du mal à me réchauffer dans la nuit. L’ambiance est différente. Tout est mouillé tellement l’air est humide. Lorsque je sors de la tente, la visibilité est nulle. Le temps n’incite pas au départ, et tout est entièrement mouillé. Je me fais violence et entame une navigation sans complication au départ, ayant pour seule mission de suivre la côte. La suite s’annonce beaucoup plus compliquée : je dois traverser un fjord d’environ 2 km de large
avec une visibilité de quelques dizaines de mètres seulement. Je me lance totalement à l’aveugle, avec ma boussole comme unique secours. Je suis le cap 255° que j’ai défini. Je suis inquiet, car une dérive progressive pourrait me désaxer et me perdre complètement au milieu de l’océan.

Mon souffle est court, les sensations inconfortables. Quand soudain, l’épais brouillard s’assombrit, une forme se dessine, de plus en plus distincte… La rive est là! Je respire enfin profondément, véritablement soulagé. La fin de la journée sera sereine, avec une dissipation du brouillard comme récompense, me permettant de gérer ma dernière traversée et le choix de mon bivouac dans de bonnes conditions.

Ce soir, il fait -5°C dehors et 1°C dans la tente. Tout est humide voire mouillé. J’avale mon repas lyophilisé et me couche en espérant une meilleure journée demain.

Dixième étape :  25 km – 5h30

Visibilité 50 à 100m puis dégagé et nuageux, vent fort l’après-midi, 1°C, mer calme puis très agitée.

Ce matin, pas de changement, tout est mouillé. Rien n’est encourageant pour le départ,  mis à part le fait de rejoindre l’île de Kulusuk à temps pour mon retour. Le baromètre chute toujours. La visibilité est nulle et j’envisage 2 traversées de fjord et un itinéraire peu commode. Je sais qu’une fois éloigné de quelques mètres du rivage, tout sera blanc. Je vais devoir me repérer avec le cap de ma boussole et estimer la distance au temps écoulé.  Cette navigation est épuisante et stressante car le doute est constant, sans aucun repère visuel de déplacement. Par chance, quelques heures après mon départ, la visibilité augmente et le brouillard s’estompe. Enfin plus détendu,  je cherche un endroit pour débarquer et faire une pose de quelques heures pour déjeuner.

Je repars pour ma dernière section jusqu’à l’île de Kulusuk. Le vent est nul puis en débouchant dans le chenal qui m’amènera à la fin de mon étape, je suis accueilli par un fort vent de face et une houle très formée avec 1m à 1,5m de creux. Je traverse puis longe la côte en espérant trouver une zone de débarquement, mais comme souvent il n’y a que des falaises et de gros rochers. Au bout de 2h, je vois une plage de très gros galets.  Elle fera l’affaire même si le débarquement est compliqué. De plus, je vais devoir tirer mon bateau sur plusieurs mètres pour cause de marée basse.

Je m’installe, prends un repas, puis pour me détendre et changer d’horizon, je pars me balader sur un sommet voisin, d’où la vue est splendide.

Onzième étape : 10 km – 2h

Ensoleillé, vent nul, 3°C, mer calme.

La nuit a été agitée. Vers 23h, un fort vent s’est levé,  je parviens tout de même à me rendormir. Puis, vers 4h, le vent s’arrête, j’entends roder autour de la tente. Un renard polaire s’est invité et fait quelques dégâts, un sac étanche percé, mon sac poubelle dispersé. Il est allé jusqu’à l’intérieur du kayak, sans doute guidé par la faim. Heureusement, il a eu la délicatesse de préserver mon bateau.

En face de mon bivouac se trouvent plusieurs icebergs que je décide d’aller voir pour faire quelques prises de vue. Je sors mon drone, car je me doute que ces trois blocs de glace ont une face cachée vue du ciel. En effet, qu’elle surprise ! La vue est extraordinaire. Je le filme sous tous les angles. Le spectacle est magique, comme si pour cette dernière journée j’avais droit au bouquet final. Au fil du temps, la lumière change, et m’offre des visions différentes. La pénombre de la nuit laisse place au soleil qui commence à tangenter à l’horizon.

Je profite de cette météo clémente pour faire mes dernières prise de vues.

Puis je prends la direction d’une baie où un petit glacier se déverse.  Au fil des coup de pagaies, je vois de plus en plus de petit blocs de glace, signe que le glacier vers lequel je me dirige est très actif. Le fjord se divise en deux, un coté qui finit par un glacier recouvert de moraine et qui n’arrive plus à la mer, l’autre côté caché par une colline.

Je choisis de m’engager en direction du premier fjord car l’expérience me fait dire que j’aurai plus de chance de trouver un endroit pour mon bivouac. La suite confirme mon intuition. Je m’arrête puis après avoir monté le campement, je me dirige vers le glacier du second fjord.  La découverte est magnifique! un mur de glace qui ne cesse de déverser des glaçons dans un bruit de craquements énorme. Je reste contemplatif de ce spectacle qui m’est offert pour cette dernière journée.

Douzième étape :  6 km – 1h15

Ensoleillé, pas de vent, 5°C, mer calme.

Je range mon campement et charge le kayak pour la dernière fois, tout est calme.

Départ 4h30, je navigue face à la pleine lune dans un sillon de lumière. J’espère voir une dernière fois les baleines,  en vain. Je profiterai seul de ces derniers instants.

Au milieu du fjord je prends mon petit déjeuner pour prolonger mon plaisir d’être ici. Puis je mets le cap à l’est, en direction du point de débarquement final, où je replie le kayak et rejoins le petit aéroport de Kulusuk. Je profite du temps qu’il me reste avant le décollage pour faire une visite de la ville,  où je découvre toute une activité.  Un pêcheur vient de ramener deux gros phoques qui sont en train d’être découpés.

Une expédition se prépare pour une traversée du Groenland. Je regarde toute cette agitation puis déambule dans le village. Dans l’aérogare, un guide qui m’avait repéré vient me demander quel a été mon parcours. Cela fait 10 ans qu’il parcourt la région en kayak. Nous échangeons et il me donne d’autres idées de parcours avec de nouvelles zones à aller explorer dans de futures aventures.

Épilogue

Cette expédition qui à été d’une très grande richesse aussi bien sur le plan des découvertes, essentiellement de la faune marine, que sur le plan de mon apprentissage.

J’ai certes vu et appris à naviguer à travers les icebergs, mais aussi bien plus. Ma rencontre avec les baleines était totalement inespérée. Ce sont des moments magiques que de pouvoir pagayer à leurs côtés !

Une autre des sensations que je retiendrai est le contraste des icebergs qui semblent inoffensifs, mais qui pourtant nous rappellent par leur bruit qu’ils sont perpétuellement en mouvement et prêts à basculer, nous rappelant que nous ne sommes pas maîtres à bord…

Informations :

Date :

  • Du 4 aout 17 aout 2019

Vol :

  • Paris – Reykjavík – Kulusuk

Equipement :

  • Kayak Nautiraid – Grand Narak
  • Combinaison étanche Kokatak
  • Tente autoporté Salewa – 2p
  • Réchaud à essence MSR, 1,5l d’essence (utilisé 800 ml)
  • Communication Garmin – Inreach mini
  • Image & vidéo Sony DSC90 ; Cyber shot 3 étanche ; drone Parrot Anafi

Alimentation :

  • Pack de 14 jours 

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